Conférence internationale
sous le parrainage de Monsieur Bruno LEMAIRE Ministre de l’Economie et des Finances
février 2019 Bercy
Accueil par Alain Arnaud président du CIRIEC-France
Propos introductif sur l’intérêt général, Catherine Gras présidente du Conseil d’orientation de Galilée.sp
Table ronde 1 : Panorama du système financier international
Marchés financiers, crypto-monnaies, régulation : va-t-on vers une nouvelle crise financière ?
- François Morin, professeur émérite de sciences économiques Université de Toulouse
- Anne Choné, Senior Risk Analysis Officer ESMA (European Securities and Markets Authority)
- Bruno Moschetto, Senior Fellow ESCP Europe
- Luc Bernier, professeur à l’université d’Ottawa-Canada
Table ronde 2 : L’industrie bancaire : mythes et réalités
Image des banques dans l’opinion publique, inclusion financière, rôle dans l’économi et quelle contribution à l’intérêt général ?
- Jean-Louis Bancel, vice-président de l’Alliance Coopérative Internationale
- Sébastien Busiris, secrétaire général de la Fédération des Employés et Cadres FO
- Nathalie Beaudemoulin, directrice du Contrôle des Pratiques Commerciales à l’ACPR
- Christine Fabresse, membre du Directoire de BPCE
- Tomas Correia, président de la banque MONTEPIO-Portugal
Table ronde 3 : Regards sur la finance socialement responsable : quel avenir ?
Témoignages sur l’existant, l’investissement socialement responsable, enjeux et perspectives
- Nathalie Rey, maître de conférences Université de PARIS-13
- Léopold Beaulieu, présidentde FONDACTION – Canada
- Dominique Blanc, directeur de la recherche NOVETHIC
- Hervé Guez, directeur recherche et gestionMIROVA
- Frédéric Tiberghien, président de FINANSOL
Échanges avec la salle
Conclusion par Alain ARNAUD, Président du CIRIEC-France
1 – D’une manière générale, le secteur bancaire et financier a besoin d’une véritable « écologie financière ».
La première mesure « écologique » est d’appliquer les normes institutionnelles, – les autorités de régulation et de contrôle y veillent -, mais aussi la déontologie de la profession parce qu’elle existe, contrairement à ce que l’on pourrait penser. En Europe et en France, les législations et réglementations prises à la suite des recommandations des G20 sont draconiennes et les autorités de contrôle plutôt exigeantes et tatillonnes, d’autant plus que la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont devenues des priorités absolues.
Une seconde mesure « écologique » serait d’organiser la traçabilité des flux et des opérations. Le client déposant d’une banque doit être en mesure de comprendre comment est utilisé son argent, et savoir quelle est la marge d’intérêt que l’établissement gestionnaire perçoit. Accessoirement, il a droit à connaître la formation des coûts dans la facturation des frais bancaires. De la même façon, il doit savoir comment sont construits les produits d’épargne et d’investissement qui lui sont proposés par sa banque, avec quelle composition, et avec quel degré de risque.
C’est à ce prix que les banques et les acteurs financiers pourront redorer leur image, particulièrement dégradée dans l’opinion publique.
Il va de soi que les institutions financières relevant de l’ESS doivent être les premières à respecter ce cadre de valeurs et ces bonnes pratiques.
2 – La finance socialement responsable ne peut prospérer que s’il y a une prise de conscience collective que l’avenir de nos sociétés passe par la préservation de l’environnement, par des pratiques économiques éthiques qui respectent les droits de l’Homme et les droits sociaux, et par des modèles qui organisent la solidarité, le partage et non le chacun pour soi…
Cela semble évident de le dire, mais il y a tant d’intérêts divergents dans ce monde qu’il est légitime de l’évoquer.
C’est donc une question éminemment politique, qui interroge les citoyens, les pouvoirs publics, mais aussi les organisations et entreprises qui produisent de la valeur réelle.
Face aux crises, les Etats, G20 après G20, ont assez sensiblement renforcé leurs dispositifs d’encadrement des marchés financiers, et imposé des règles prudentielles plus contraignantes aux banques et institutions financières. De la même façon, sous la pression des mouvements écologistes et altermondialistes, ils ont fini par engager des discussions plus consensuelles sur la problématique majeure de notre planète, celle du respect de l’environnement et du réchauffement climatique, même si les solutions ne sont pas encore vraiment au rendez-vous.
Ces réalités et cette prise de conscience constituent bien évidemment un terreau favorable pour accélérer le développement d’une finance qui puisse servir une économie plus raisonnable.
3 – La finance socialement responsable doit s’inscrire dans un schéma durable
Il est vain d’énoncer de bonnes idées si celles-ci ne s’inscrivent pas dans une perspective de développement dans un temps long. Pour ce faire, il me paraît nécessaire qu’au moins trois conditions soient réunies.
- Première condition, la finance socialement responsable doit s’appuyer sur un système de valeurs irréprochable.
C’est un lieu commun que de le dire, mais il semble nécessaire de le rappeler tant les pratiques dans le secteur financier peuvent s’éloigner rapidement de valeurs auxquelles nous tenons.
Ce système de valeurs s’applique à la construction des produits, à la façon de les distribuer, aux systèmes de rémunération qui sont attachés à leur distribution.
En ce qui concerne l’élaboration des produits qui relèvent de l’Investissement Socialement Responsable, les sous-jacents doivent être d’une totale transparence sur leur caractère éthique, bien documentés et responsables vis-à-vis des droits de l’Homme et de l’environnement.
Ils doivent probablement faire l’objet de pratiques de distribution qui soient plus vertueuses que celles concernant les produits financiers classiques, avec des rémunérations tant pour l’investisseur que pour l’intermédiaire qui soient considérées comme normales.
- Seconde condition, le développement et la durabilité de la finance socialement responsable ont besoin d’un soutien des politiques publiques
La part de la finance responsable dans le système financier classique reste faible. En Europe où le concept d’investissement socialement responsable s’est développé plus tardivement qu’en Amérique du Nord, cette part doit s’élever à environ 10%. Il y a donc des marges de progrès.
Mais il est évident que pour que la finance socialement responsable puisse prospérer dans la sphère financière, il est nécessaire qu’un rapport de forces soit organisé. C’est un défi difficile à relever car l’hydre financière classique n’entend pas forcément se débarrasser de ses tares originelles que sont l’appât du gain rapide et les pratiques spéculatives. Il faut donc que les pouvoirs publics interviennent.
En Europe, les vents semblent favorables en faveur d’une approche plus sociale, plus environnementale de l’économie, et un certain élan politique a pu être constaté ces derniers temps pour promouvoir une utilisation plus responsable des instruments financiers, mais il reste beaucoup à faire.
- Troisième condition, la finance socialement responsable doit être inscrite dans une organisation d’acteurs mieux structurée
L’objectif est de passer du marché de niche à une part de marché significative. Pour cela, les produits estampillés ISR doivent être considérés comme des produits financiers comme les autres, par les marchés, comme par les acteurs de ces marchés et dans l’opinion publique. Cela pose bien évidemment la question de leur rendement, car l’on voit bien qu’il peut y avoir à certains moments des divergences d’intérêt entre recherche de la rentabilité, notamment pour les institutions financières qui ont besoin de rémunérer leurs actifs, et l’envie d’investir dans de la finance socialement responsable.
Pour autant, on a vu s’organiser ces dernières années un environnement mieux structuré pour l’Investissement Socialement Responsable, avec des acteurs qui prennent une part de plus en plus grande dans le développement du secteur, et dont la conjugaison finira bien par porter ses fruits sur le long terme.
4 – Enfin, les acteurs de l’ESS doivent être les aiguillons de la finance socialement responsable
Nous serons tous d’accord ici pour dire que l’Economie Sociale porte en elle-même la pierre philosophale de l’économie durable. Il serait donc dommage de ne pas considérer qu’elle doit jouer un rôle majeur en matière de promotion et d’impulsion d’une finance plus responsable. Elle en a la légitimité.
Les entreprises de l’ESS ont en effet fait la démonstration de leur résilience face aux crises, elles doivent donc être à l’avant-garde du développement de la finance socialement responsable.
Fortes de leur présence dans l’économie de nos pays, et de leur capacité à résister aux turbulences des marchés financiers, elles incarnent par leurs fondements même la bonne articulation entre l’économique et le social.
Les banques coopératives doivent bien entendu être au cœur de ces évolutions, parce que c’est leur vocation originelle. Mais elles doivent résister au chant des sirènes, tout comme les investisseurs institutionnels relevant de l’économie sociale et solidaire, que ce soient les grandes mutuelles ou les grandes coopératives.
Je voudrais dire pour terminer que nous avons beaucoup à apprendre du modèle québécois de finance solidaire, car la démonstration a été faite qu’avec un système de valeurs solide, avec une conception efficace de la mise en réseau, avec une forte volonté militante, on peut aboutir à conjuguer économie, finance, responsabilité et solidarité.