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Il est souvent évoqué le chiffre de 8,3 millions d’aidants aujourd’hui en France, ce qui signifie que nous sommes tous susceptibles, à un moment de notre vie, d’être en situation de devoir aider un proche, sans forcément se reconnaître comme un « aidant ».

Isabelle Cottet Gizolme, ex-responsable suivi des Cafés des aidants et formation des aidants

  1.  L’Association française des aidants : histoire et missions

Depuis vingt ans, l’Association française des aidants milite pour la reconnaissance de ce rôle d’aidant et pour qu’une place leur soit reconnue dans notre société. L’Association s’engage, construit, alimente un plaidoyer pour faire mouvement. Elle s’appuie sur des actions de communication nationales pour mettre en lumière les actions locales et sur un réseau associatif permettant des échanges d’expériences et une réflexion commune sur la question des proches aidants. L’Association oriente et soutient les aidants localement notamment via l’animation du réseau national des Cafés des aidants®, assure des formations sur les questions liées à l’accompagnement pour les proches aidants et les équipes professionnelles, diffuse l’information, développe des partenariats et participe à la construction d’outils pour mieux appréhender les attentes et les besoins des aidants.

Même si aujourd’hui le sujet est plus développé et que les aidants eux-mêmes, les professionnels et les Pouvoirs Publics s’en emparent, les aidants restent trop souvent méconnus, voire invisibles, leur accompagnement se limitant le plus souvent à une sphère familiale privée. En effet, on constate que les aidants ne se reconnaissent pas comme tel tant qu’ils n’ont pas accès à cette information. Il paraît donc indispensable de mieux comprendre et accompagner ces publics en précisant quelques éléments de contexte sur la base de trois grands constats.

En premier lieu, ce que l’on peut nommer les nouvelles réalités médicales. En effet, le maintien à domicile est plébiscité par les Français(es) et les Pouvoirs Publics, qui aussi pour des raisons économiques, poussent en ce sens les politiques de soins et d’accompagnement.

Du côté de l’hôpital, on note pour exemple, les dispositifs d’HAD[1], de médecine ambulatoire, sur fond de démographie médicale contrainte (tant en villes qu’en structures). Mais aussi du côté de l’accompagnement du vieillissement[2] avec le virage domiciliaire[3], l’ehpad hors les murs[4]

Les données démographiques ont également des conséquences sur la santé. Pour exemple, l’effet Papy-boom[5] : tous les scénarios conduisent à une hausse importante de la proportion de personnes âgées d’ici 2070. La France compterait 68,1 millions d’habitants au 1er janvier 2070, contre 67,4 millions au 1er janvier 2021, soit 700 000 de plus[6].

Cette espérance de vie allongée, ainsi qu’une amélioration des traitements, a conduit à une chronicisation des maladies (cancers, maladies cardiaques, diabètes…) et à une espérance de vie également prolongée pour les personnes porteuses d’un handicap[7]. De même, les personnes âgées sont souvent atteintes de plusieurs maladies ou incapacités : ce que l’on nomme comorbidité du patient âgé. Bien sur ces données influencent et compliquent les accompagnements à prévoir.

Enfin, il faut prendre en compte les pressions financières puisque notre modèle social et sanitaire subit de fortes contraintes. Nous l’avons déjà esquissé et reviendrons sur le sujet au paragraphe suivant, mais les politiques de maintien à domicile pèsent lourdement sur l’engagement et la charge des aidants à différents niveaux.

A l’heure où le projet de loi sur le financement des retraites est débattu, nous ne pouvons cacher notre inquiétude quant aux pressions supplémentaires auxquelles les aidants (et les accompagnants dans leur ensemble) vont devoir faire face dans les contextes déjà tendus que nous avons évoqué.

  • Les proches aidants

Les définitions et cadres juridiques sont un risque d’enfermement des aidants dans une sorte de « statut » trop limitant, ne tenant pas compte du besoin d’autodétermination que peuvent revendiquer les aidants. Cependant, pour mieux cerner le cadre actuel et comprendre l’avancée de la prise en compte par les Pouvoirs Publics, voici quelques textes – socles de référence :

–    la loi n°2005-102 du 11/02/05 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, rend officiel la place et le rôle des aidants ;

   – le décret n°2005-1588 du 19 décembre 2005 relatif à la prestation de compensation à domicile pour les personnes handicapées et modifiant le code de l’action sociale et des familles et le code de la sécurité sociale, attribue une définition à l’aidant familial ;

     –   le décret n°2008-450 du 7 mai 2008 relatif à l’accès des enfants à la prestation de compensation : élargit la notion d’aidant familial ; 

     –   le proche aidant est reconnu par la loi ASV[8] dans le code de l’action sociale et des familles : « Art. L. 113-1-3. Le périmètre élargi de l’entourage est reconnu à travers la notion de « proche aidant » d’une personne âgée en perte d’autonomie liée à l’âge » ;

      –   le Code de la Santé Publique (art. L111-6) évoque par ailleurs les termes « d’aidant naturel » et de «personne de confiance » et l’article R245-7 (pour application art. L245-12) définit le périmètre des liens[9] ;

     –  le Guide de l’aidant familial, publié par le Ministère des affaires sociales et de la santé[10], propose une définition : « L’aidant familial est la personne qui vient en aide, à titre non professionnel, en partie ou totalement, à une personne âgée dépendante ou à une personne handicapée de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière est permanente ou non. Elle peut prendre différentes formes comme le nursing[11], les soins, l’accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, les démarches administratives, la coordination, la vigilance, le soutien psychologique, les activités domestiques, etc… ». Cette dernière définition est aujourd’hui partagée entre les Pouvoirs Publics et les différents acteurs du secteur.

 En résumé, est considérée comme aidant familial, la personne qui apporte une aide :   non professionnelle – à un proche (membre de sa famille, conjoint, ami, voisin) en perte d’autonomie ou dépendant du fait d’un handicap, d’une maladie ou de l’âge –  pour effectuer des gestes de la vie quotidienne – de manière régulière et fréquente.

Et en quelques chiffres[12] :

  • 57% sont des femmes
  • 79% ont moins de 65 ans (dont 45% moins de 50 ans)
  • 66% travaillent
  • 52% soutiennent leur(s) parent(s), 11% leur(s) grands-parents, 10% leur conjoint, 13% un autre membre de la famille.

 Alors, que nous disent les aidants de leurs besoins et principales difficultés ?

  • le manque de temps (36 %) : il est difficile, lorsqu’on consacre beaucoup de temps à son proche, de garder des moments à soi. Cette difficulté est majorée lorsque l’aidant travaille ou connaît lui aussi des problèmes de santé, de transports…
  • le manque d’information sur les droits des aidants (18 %) et la complexité des démarches administratives (29 %) : les aidants rapportent que les parcours sont complexes ce qui peut conduire à un non-recours aux aides.
  • la fatigue physique (25 %) : la santé des aidants est un vrai enjeu pour les  Politiques Publiques car le risque d’épuisement est majeur et si l’aidant est à son tour malade, qui aidera l’aidé ?
  • le manque de ressources financières (19 %) : « la grande majorité des aidants familiaux dépensent plus de 2 000 euros par an pour leur proche. Un engagement aux coûts élevés qui se justifie par les frais de transport, l’achat de médicaments et de matériel, l’aménagement du domicile et l’intervention d’une aide professionnelle non remboursées par la Sécurité sociale. Seule une minorité d’aidants bénéficient d’une aide financière. Mais pour beaucoup d’entre eux, les difficultés budgétaires, qu’ils affrontent seuls s’ajoutent au stress et à la fatigue engendrés par le fait d’accompagner un proche[13] ». L’emploi des aidants (temps partiels, refus de promotion…) est également un vrai sujet.
  • enfin le manque de soutien moral (18 %) : les aidants souffrent aussi du manque de liens sociaux. En effet, s’ajoute à la fatigue, aux difficultés financières…, la complexité de faire garder son proche pour des temps de loisirs, répit…avec le sentiment de culpabilité que cela peut aussi engendrer.

Fort de ces constats, et pour apporter des solutions concrètes tant aux aidants qu’aux professionnels qui les accompagnent, l’Association française des aidants crée et développe différents dispositifs : centre de formation, formation des aidants et Cafés des aidants®.

3.    Les Cafés des aidants® : un lieu innovant et convivial pour mieux accompagner

Depuis 2004, les Cafés de aidants® se développent partout en France hexagonale et Outre-Mer : on en compte environ 260[14]. Pour les territoires non couverts et répondre à une demande d’aidants isolés avec difficultés de déplacement, de contraintes horaires, ce dispositif existe aussi en format visio conférence.

Les Cafés des aidants® sont des lieux, des temps et des espaces d’information, de rencontres et d’échanges, animés par un travailleur social et un psychologue ayant une expertise sur la question des aidants. Ils sont ouverts à tous les aidants non professionnels, quels que soient l’âge et la pathologie de la personne accompagnée.

Les rencontres sont basées sur un principe de convivialité « autour d’un café » et sont ouvertes à tous les aidants. Un thème précis est fixé pour chaque rencontre[15] dans le cadre d’un programme, le partage d’expériences entre les aidants est soutenu par les co-animateurs. Ces rencontres sont ouvertes à tous types d’aidants, sans distinction d’âge ou de pathologies, fragilités, du proche aidé. En effet, « l’aidance », que l’on accompagne un enfant, un conjoint, un parent… est un sujet commun qu’il est essentiel de mettre au travail (indépendamment d’une expertise sur une maladie, un handicap) : inquiétude, santé, vie professionnelle, avenir, temps consacré, relations aux professionnels… sont des sujets transversaux communs qu’il est nécessaire d’accompagner dans un cadre sécurisant.

Du côté des professionnels, porteurs de projets, qui ont rejoint le réseau de l’Association française des aidants, il s’agit pour la plupart de structures de suivi (CCAS, services d’aide à domicile, établissements, réseaux de santé, etc.) ou de coordination (CLIC, MDPH, etc.) s’adressant aux personnes en difficulté de vie ou encore à toute structure agissant dans les champs du handicap, du grand âge ou de la santé. Pour eux, développer un Café des aidants® apporte un partage de réseau, de connaissances, une aide concrète à la mise en œuvre et une communication à la fois locale et nationale. La méthodologie du projet et son accompagnement sont structurants pour les professionnels qui s’engagent dans la démarche : partager les expériences, harmoniser les pratiques et faire mouvement ensemble pour rendre visible les publics aidants.

On note aussi depuis quelques années un intérêt pour ces questions de la part de grandes entreprises qui souhaitent accompagner leurs salariées en interne sur ces questions. L’Association française des aidants les forment dans leur acculturation au public des aidants salariés et à la mise en place de dispositifs internes, dont les Cafés des aidants®. Ces nouveaux partenaires sont l’occasion de développer de nouvelles pratiques et d’accroître le champs des repérages et des connaissances.

BIBLIOGRAPHIE

(1). Les personnes handicapées vieillissantes : espérances de vie et de santé ; qualité de vie. Une revue de la littérature. Bernard AzémaNathalie Martinez. Dans Revue française des affaires sociales 2005/2, pages 295 à 333.

(2). Guide de l’aidant familial – Ministère de la Santé et des Solidarités. Ed. DICOM. 2007/04, page 11.


[1] HAD : Hospitalisation à domicile.

[2] La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (dite « loi ASV ») propose une approche transversale de la question du vieillissement et privilégie le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie.

[3] Formule : dans le cadre du vieillissement de la population, l’exécutif utilise cette formule pour indiquer qu’il faut maintenir le plus longtemps possible les personnes âgées chez elles plutôt qu’en établissement.

[4] Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. « Hors les murs » expérimenté depuis 2018, peut prendre plusieurs formes, comme les résidences partagées, ou simplement une meilleure assistance coordonnée à domicile.

[5] La génération des enfants du baby-boom arrivée à l’âge de la retraite.

[6] Données INSEE.

[7] Il faut attribuer à René Lenoir la première prise de conscience de la nouvelle longévité des personnes handicapées, lui qui, dès 1976, indiquait de manière prémonitoire : « Les débiles profonds mouraient presque tous à l’adolescence. Ils atteignent maintenant l’âge mûr et nous aurons dans dix ou quinze ans, de grands handicapés du troisième âge ». (1).

[8] ASV : Adaptation de la société au vieillissement.

[9] « Est considéré comme un aidant familial, pour l’application de l’article L. 245-12, le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personne handicapée a conclu un pacte civil de solidarité, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de la personne handicapée, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple qui apporte l’aide humaine définie en application des dispositions de l’article L. 245-3 du présent code et qui n’est pas salarié pour cette aide. Lorsque la prestation est accordée au titre du 1° du III de l’article L. 245-1, est également considéré comme aidant familial, dès lors qu’il remplit les conditions mentionnées à l’alinéa précédent, le conjoint, le concubin ou la personne avec laquelle un parent de l’enfant handicapé a conclu un pacte civil de solidarité ainsi que toute personne qui réside avec la personne handicapée et qui entretient des liens étroits et stables avec elle. »

[10] Edité depuis 2007 et revu régulièrement (2).

[11] Nursing : expression d’origine anglaise signifiant « ensemble de soins d’hygiène et de confort prodigués aux personnes dépendantes », in Le petit Larousse.

[12] Baromètre des aidants – Fondation April avec l’institut BVA – 2021.

[13] Extrait de essentiel-autonomie.com – Aider au quotidien : les difficultés économiques des aidants familiaux. Malakoff Humanis.

[14] En janvier 2023, hors Cafés des aidants® internes aux entreprises.

[15] On note en moyenne 10 rencontres annuelles par Café des aidants®